03 novembre 2010

Coco Lulu

Les deux An'
A Tiodor Solvay.

Deux ân' marchiont à deux. - Un qui s'app'lait Antoine
(Comm' Tône des pouchinel'),
Y portait dessus s' dos deux trois sacs de l'avoine.
L'auter c'était Neéle Snotebel...
Y portait pas d' l'avoine
Mo des sacs avec du l'or.
Il était d' ça si fier comme un tambour major.
Y faisait de s' n' esbrouf (1) on oûrait dit Jandemme
Qu'il était l' prop' cosin de Liapol lui-même.
Mo vla que tout d'un coup des voleurs y venont
Pour picker (2) tout l' bazar qui blinkait (3)... « Bonne affaire »
Y disont...
Mo Neéle y s' met en colère,
Leur flanqu' des bons coups d' pied.- Euss' y l' frappont si fort
Que l' pouvr' âne était presque mort !...
Y disait en pleurant : on laiss' Tône tranquille,
On lui fait rien, Jan Vermille !...
Moi je s'rai stropiné (4) cochons ! c'est pas permis.
C'est podouche pas ça qu'on me z'avait promis...
- « Neéle, y dit s' camérade,
« C'est pas toujours bon d'avoir un chic emploi.
« Et si t' oûrais porté rien que d' l'avoin' comm' moi
« Tu s'rais pas si malade! »

(1) De l'embarras, (2) Voler. (3) Brillait. (4) Estropié.


Les deux mulets

Deux mulets cheminaient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la gabelle
Celui-ci, glorieux d'une charge si belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être soulagé.
Il marchait d'un pas relevé,
Et faisait sonner sa sonnette:
Quand, l'ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l'argent,
Sur le mulet du fisc une troupe se jette,
Le saisit au frein et l'arrête.
Le mulet, en se défendant,
Se sent percé de coups; il gémit, il soupire.
Est-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avait promis?
Ce mulet qui me suit du danger se retire;
Et moi j'y tombe et je péris!
- Ami, lui dit son camarade,
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi:
Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade.

Jean de La Fontaine 
1621 Château-Thierry 1695 Paris