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02 avril 2015

Gaston Chaudesaigues

Une horrible tapette 

Il vit d’abord, non loin de lui, le roi des rois, l’Agamemnon littéraire, l’archi-célèbre, l’européen romancier, Gaston Chaudesaigues, recruteur d’argent inégalable et respecté. Seul, le gibbeux Ohnet lui dame le pion et ratisse plus d’argent encore. Mais l’auteur du Maître de Forges est un mastroquet heureux qui mélange l’eau crasseuse des bains publics à un semblant de vieille vinasse, pour le rafraîchissement des trois ou quatre millions de bourgeois centre gauche qui vont se soûler à son abreuvoir, et il n’est pas autrement considéré. Il est unanimement exclu du monde des lettres, ce dont il brait, parfois, dans la solitude. Sans son héroïque ami *Chérubin des Bois, qui a naturellement du goût pour les millionnaires et qui lui ouvre ses bras quand on est seul, ce triomphateur serait tout à fait sans consolation.
Chaudesaigues nage, il est vrai, dans une moindre opulence. Cependant, il dépasse encore les plus cupides sommets littéraires de toute la hauteur d’un Himalaya. Il faut se représenter une façon de juif-auvergnat, né dans le midi, et compatriote de Mistral, un troubadour homme d’affaire, un Lampiste des Mille et une Nuits, qui n’aurait qu’à frotter pour que le génie apparût et l’éclairât. On se rappelle l’énorme succès de son livre sur le duc de Morny, qui avait protégé ses débuts, auquel il devait tout, et dont il épousseta et retourna les vieilles culottes aux yeux d’un public avide qui couvrit d’or le révélateur…
De telles indiscrétions peuvent être le droit absolu d’un véritable artiste, affranchi par sa vocation de toutes les convenances de la vie normale, mais aucun marchand de lorgnettes ne doit prétendre à d’aussi dangereuses immunités, et Chaudesaigues est précisément un des plus bas mercantis de lettres dont le tube classique de cette vieille catin de Gloire ait jamais trompeté le nom. Il est ce qu’on appelle, dans une langue peu noble, « une horrible tapette »...[

Le fils de Gaston Chaudesaigues peint par Georges Dutriac 

]...Toutefois, ce n’est pas un traître pur, un traître pour le plaisir, à l’instar de *Beauvivier. Il lui faut de l’argent, voilà tout, un argent infini, non seulement pour contenter les plus ataviques appétits de sa nature de fastueux satrape, mais afin d’élever, dans une occidentale innocence, les enfants à profil de chameau et à toison d’astrakan, qui trahissent, par le plus complet retour au type, l’infamante origine juive de leur père.
On n’avait peut-être jamais vu, avant lui, une littérature aussi âprement boutiquière. Son récent livre, Sancho Pança sur les Pyrénées, conçu commercialement, en forme de guide cocasse, d’un débit universel, avec des réclames pour des auberges et des fictions d’étrangers sympathiques, est, au point de vue de l’art, une honte indicible.
Son talent, d’ailleurs, dont les médiocres ont fait tant de bruit, est surtout, une incontestable dextérité de copiste et de démarqueur. Ce plagiaire, à la longue chevelure, paraît avoir été formé tout exprès pour démontrer expérimentalement notre profonde ignorance de la littérature étrangère. Armé d’un incroyable et confondant toupet, voilà quinze ans qu’il copie Dickens, outrageusement. Il l’écorche, il le dépèce, il le suce, il le râcle, il en fait des jus et des potages, sans que personne y trouve à reprendre, sans qu’on paraisse seulement s’en apercevoir.
Virtuose de conversation, à la manière fatigante des méridionaux dont il a l’accent, il se trouble aisément en la présence d’un monsieur froid, qui l’écoute en le regardant, sans rien exprimer. Ce Don Juan équivoque manque de tenue devant la statue du Commandeur.

*Chérubin des Bois : Dr Albert Robin; parmi ses patients : Barbey d'Aurevilly, Paul Bourget, Guy de Maupassant, Octave Mirbeau, Villiers de l'Isle-Adam
*Beauvivier : Catulle Mendés

Extrait : Le Désespéré (1887) de Léon Bloy
GF Flammarion - Présentation, notes, documents, chronologie et bibliographie de Pierre Glaudes.

Gaston Chaudesaigues, (Gaston Chaudeseaux) sous la plume vitriolée du très déglingué Léon Bloy, violent polémiste, virtuose de l'adjectif, intégriste catholique, dirait-on de nos jours, est, vous l'avez compris, Alphonse Daudet.

[Horrible tapette ou pas, mon admiration va à Alphonse Daudet, cela va de soi.]

14 novembre 2007

L'âne et la figue

C'est ainsi que ce que l'inclination de notre esprit à la farce prend pour un misérable coup d'esprit, n'est, la plupart du temps, dans la pensée de l'auteur, qu'une vérité importante, proclamée avec majesté! Oh! ce philosophe insensé qui éclata de rire, en voyant un âne manger une figue! Je n'invente rien: les livres antiques ont raconté, avec les plus amples détails, ce volontaire et honteux dépouillement de la noblesse humaine. Moi, je ne sais pas rire. Je n'ai jamais pu rire, quoique plusieurs fois j'aie essayé de le faire. C'est très difficile d'apprendre à rire. Ou, plutôt, je crois qu'un sentiment de répugnance à cette monstruosité forme une marque essentielle de mon caractère. Eh bien, j'ai été témoin de quelque chose de plus fort: j'ai vu une figue manger un âne! Et, cependant, je n'ai pas ri; franchement, aucune partie buccale n'a remué. Le besoin de pleurer s'empara de moi si fortement, que mes yeux laissèrent tomber une larme. «Nature! nature! m'écriai-je en sanglotant, l'épervier déchire le moineau, la figue mange l'âne et le ténia dévore l'homme!»

Chants de Maldoror
Livre IV

Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, [pas en vrai] (1846, Montevideo, Uruguay – 1870, Paris) , a fait ses classes au Lycée impérial de Tarbes, puis au lycée Louis-Barthou à Pau.

Léon Bloy, au sujet d'Isidore:
 « Cher grand homme avorté ! Pauvre rastaquouère sublime !»