25 juillet 2011

Eloge de l'asne

Qu'est-ce qu'un Asne ?


L'âne : que des bons points 

COMME la plûpart des disputes qui divisent les Sçavans, ne viennent souvent que de ce que les mêmes mots ont différentes significations, je vais, pour éviter les schismes, commencer par expliquer ce que j'entends par un âne : cette méthode n'est peut-être pas admise dans l'Université de Babylone; mais nos Docteurs de Montmartre l'ont approuvée, je la respecterai toujours.

Les Naturalistes distinguent deux sortes d'ânes : les sauvages et les privés : ils sont tous grands, beaux, faits au tour, & surtout forts légers. Il y en a beaucoup dans les déserts de la Lybie & de Numidie : ils sont gris et courent si vite qu'il n'y a que les chevaux barbes qui puissent les atteindre à la course; lorsqu'ils voyent un homme, ils jettent un cri, font une ruade, et ne fuyent que lorsqu'on les approche. Ce sont les plus jolis ânes du monde; ils sont sauvages, c'est leur seul défaut.

Les ânes privés se subdivisent en deux espèces; les ânes de Montmartre et les ânes de Babylone. Les premiers sont couverts de poil depuis la tête jusqu'aux pieds, portent les oreilles longues, marchent à quatre pattes, ont la phisionomie un peu allongée et la queue au bas du dos. Les autres ont les oreilles courtes, la tête ovale, le corps droit, ne marchent que sur deux pieds et communément n'ont pas de queue.

Noblesse de l'Asne.

C'EST une question très importante, & qui a donné de la tablature à beaucoup de Sçavans; que de savoir si dans le jardin d'Eden, l'âne a été créé avant le cheval, ou s'ils ont été faits ensemble. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'un & l'autre ont été créés avant l'homme : ainsi ce dernier venu doit leur céder le pas, ils sont ses aînés.

Quant à la noblesse de l'âne, M. Buffon assure qu'elle est aussi bonne, aussi ancienne que celle du cheval; tout le monde convient que le cheval est le plus noble des animaux : l'âne doit donc encore l'emporter sur les plus nobles mortels.

Education de l'Asne.


100 bons points gagnés par Yvonne = 1 image

TOUS les hommes naissent méchants. Il y a longtemps qu'on l'a dit et malgré Rousseau de Geneve, on le dira encore plus d'une fois : cette méchanceté de l'homme lui est naturelle avec le reste des animaux. Une pente invincible les attire vers le mal; ils ne semblent nés que pour se détruire mutuellement : les lions, les tigres, les ours, les loups, le cheval lui-même, cet animal qu'on vante tant et dont je parlerai bientôt, naissent avec de mauvaises inclinations. L'âne, au contraire, a reçu de la nature la bonté en partage. Tous les ânes naissent bons.

L'exterieur de l'Asne.

ON ne doit pas mépriser l'âne parce qu'il marche à quatre pattes : le lion que les préjugés ont déclaré le Roi des animaux, ne marche point autrement. Plusieurs Philosophes ont même soutenu que cette maniere de marcher, est non-seulement la plus solide, mais encore la plus naturelle; ils ont fait plus : ils ont démontré phisiquement que l'homme doit marcher ainsi et ils ont déclaré que tant qu'il ne se servira que de deux pieds, on doit le regarder comme un monstre. Il y en a d'autres qui prétendent que la plûpart des hommes le sont sans cela; mais ce n'est pas de quoi il s'agit à présent : ainsi revenons à nos moutons.

La Philosophie de l'Asne

ON définit ordinairement un Philosophe, un animal qui rumine; l'âne ne rumine point, cependant il est excellent Philosophe. Un Auteur anonyme a écrit que l'âne a du courage sans cruauté, de la force sans fureur, du bon sens sans orgueil et de l'esprit sans vanité. Cet Auteur a raison : l'âne ne fait rien pout lui-même, il fait tout pour les autres : il est extrêmement patient, c'est la douceur même. Jamais on ne le voit se battre, jamais il n'a eu de procès; bon ami, bon mari; il est le modèle et le prototype de toutes les vertus.

L'âne est toujours égal à lui-même : il a aujourd'hui les mêmes inclinations qu'il avoit hier; et l'année prochaine, il aura le même train, la même alure que cette année. Il n'est ni gourmand, ni avaricieux, ni fénéant, ni délicat. Sa philosophie ne le rend, ni sombre, ni bourru : il est animal de bonne société et n'importune personne.

L'Asne et ses petits

LA Vieillesse, ce marteau qui brise la tête du serpent le plus superbe, ne semble épargner que les ânes. Plus ils sont vieux, dit M. Buffon, plus ils sont ardents au plaisir. Si les amants sont heureux, les ânes le sont toujours.

Moins tardif que l'homme, à peine l'âne a trois ans, qu'il est déjà en état de reproduire son semblable. L'ânesse est encore plus précoce, elle n'est qu'un enfant et elle éprouve déjà les transports de l'amour. La tendresse de l'âne pour sa compagne, s'étend aussi sur sa progéniture : il a pour elle le plus fort attachement.

Travaux de l'Asne

SI l'utilité des services qu'on rend à la société, est la mesure de la reconnoissance et de l'estime qu'on doit en attendre, nul animal sur la terre n'a des espérances plus grandes, plus flateuses que l'âne. Il traîne, il porte, il laboure, il est propre à tout. C'est un ressort perpétuel, il ne repose presque jamais.

Vous qui coulez votre vie dans une noble indolence et méprisez nos baudets, illustres fénéans! Venez à Montmartre, & vous serez témoins de leurs travaux. Depuis le lever de l'aurore, jusqu'au coucher du soleil, ils vont, ils viennet, un sac de farine sur le dos; ils travaillent sans relâche, ils s'occupent toujours.

Calomniateurs confondus

CONFUSIUS, qui mourut environ sept mille ans avant que je fusse né, recommanda aux Chinois de mépriser les injures, de les pardonner; cette morale est aussi celle des ânes de Montmartre, mais ils ont un autre article dans leur Code moral qui ne leur permet pas d'entendre outrager la vérité et de se taire : il leur est ordonné de la faire prévaloir et de confondre le mensonge. Le rang, le pouvoir, la fortune des imposteurs ne sont point capables de leur imposer silence. Protecteurs nés de la vérité, en tout temps, en tout lieu, ils doivent toujours la défendre.


Anda em capa de letrado muito asno disfarçado
Il y a sous couvert (ure) de lettrés, bien des ânes déguisés

E L O G E D E L' A S N E , PAR UN DOCTEUR DE MONTMARTRE.

A Londres [fausse adresse], et se trouve à Paris, chez Delaguette, Libraire, au bas du Pont Saint Michel, 1769.
[Œuvre attribuée à Dom Joseph Cajot, édition originale]

Texte via Académie des jeux oubliés
Bons points via Agence Eureka
Âne déguisé via Coisas do Arco da velha

3 commentaires:

  1. J'ai appris un poème avant, dans le temps.


    J'AIME L’ÂNE...

    J'aime l'âne si doux
    marchant le long des houx.

    Il prend garde aux abeilles
    et bouge ses oreilles;

    et il porte les pauvres
    et des sacs remplis d'orge.

    Il va près des fossés,
    d'un petit pas cassé.

    Mon amie le croit bête
    parce qu'il est poète.

    Il réfléchit toujours.
    Ses yeux sont en velours....

    De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir de Francis Jammes

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  2. Belle page, à lire, relire et méditer... A propos des ânes que le Cygne d'Orthez a soudoyés pour qu'ils l'accompagnent au Paradis, souvenons-nous de la communale... il y avait toujours, dans chaque classe, de vils flatteurs prêts à tout pour plaire à l'instit... on réglait les comptes à la récré!

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  3. Très joli poème, Berthoise, d'un voisin béarnais qui a raté son Bac avec zéro (la tête à Toto), en français.

    Miquéu, lo (lou) Miquéu Ivanovitch, (lo hilh d'Iban!) qu'em pensi! Attention Miquéu, Berthoise est Instit, c'est rapé pour un bon point.

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