Tout lui est égal. Chaque matin, il voiture, d’un petit pas sec et dru de fonctionnaire, le facteur Jacquot qui distribue aux villages les commissions faites en ville, les épices, le pain, la viande de boucherie, quelques journaux, une lettre.
Cette tournée finie, Jacquot et l’âne travaillent pour leur compte. La voiture sert de charrette. Ils vont ensemble à la vigne, au bois, aux pommes de terre. Ils ramènent tantôt des légumes, tantôt des balais verts, ça ou autre chose, selon le jour.
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Vincent van Gogh - Charrette à âne - 1881 |
Jacquot ne cesse de dire : « Hue ! hue ! » sans motif, comme il ronflerait. Parfois l’âne, à cause d’un chardon qu’il flaire, ou d’une idée qui le prend, ne marche plus. Jacquot lui met un bras autour du cou et pousse. Si l’âne résiste, Jacquot lui mord l’oreille.
Ils mangent dans les fossés, le maître une croûte et des oignons, la bête ce qu’elle veut.
Ils ne rentrent qu’à la nuit. Leurs ombres passent avec lenteur d’un arbre à l’autre.
Subitement, le lac de silence où les choses baignent et dorment déjà, se rompt, bouleversé.
Quelle ménagère tire, à cette heure, par un treuil rouillé et criard, des pleins seaux d’eau de son puits ?
C’est l’âne qui remonte et jette toute sa voix dehors et brait, jusqu’à extinction, qu’il s’en fiche, qu’il s’en fiche.
Jules Renard - Histoires naturelles 1874
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édition originale Flammarion de 1896 Jules Renard et Félix Vallotton |
LA DINDE
Elle se pavane au milieu de la cour, comme si elle vivait sous l'ancien régime.
Les autres volailles ne font que manger toujours, n'importe quoi. Elle, entre ses repas réguliers, ne se préoccupe que d'avoir bel air. Toutes ses plumes sont empesées et les pointes de ses ailes raient le sol, comme pour tracer la route qu'elle suit: c'est là qu'elle s'avance et non ailleurs.
Elle se rengorge tant qu'elle ne voit jamais ses pattes.
Elle ne doute de personne, et dès que je m'approche, elle s'imagine que je veux lui rendre mes hommages.
Déjà elle glougloute d'orgueil.
— Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez une oie, j'écrirais votre éloge, comme le fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais vous n'êtes qu'une dinde.
J'ai dû la vexer, car le sang monte à sa tête. Des grappes de colère lui pendent au bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait claquer d'un coup sec l'éventail de sa queue et cette vieille chipie me tourne le dos.
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Bois de Félix Vallotton |
Ça donne envie de le lire ! Jamais lu ou peut-être en élémentaire. Je vais en emprunter à ma biblio. Corinne
RépondreSupprimerC'est à lire, comme l'indispensable Poil de carotte. Il faut aller aussi picorer dans son Journal (1887-1910), une somme !
SupprimerDu coup, j'en profite pour rajouter les images de l'édition originale de 1896, illustrée par Félix Vallotton (que j'adore !)