28 décembre 2008

L' Ovocyte de Maman

Issu d'une très ancienne et très noble lignée de spermatozoïdes de combat, qui a traversé les âges contre vents et marées, je n'ai pas eu grand mal ce jour-là à affirmer ma supériorité. Têtard chéri des dieux, comme bousté par des substances illicites, j'ai le souvenir d'avoir mis à profit une forme étincelante pour une victoire sans bavures, dans ce handicap (main dans le chapeau) pour spermatozoïdes d'âge. Pégase ailé, flamberge au vent, j'allais comme un hippocampe fou, me jouant des nombreux obstacles qui se présentaient à moi : bull finch, double barrière, oxer, petit, moyen et gros open-ditch, rail ditch and fence, me riant du mur de pierre, du talus et du brook, de la rivière du huit et de la rivière des tribunes.
(Âme, te souvient-il ... de la gare d'Auteuil et des trains de jadis ? )


Souvenir souvenir: moi tout petit aux abords de la ligne d'arrivée

Sur la photo ci-dessus, dans un micro-onde de seconde, tandis que le cosmos s'emplit de strideurs étranges, semblables aux crissements d' un TGV en provenance de Tarbes dont le cocher, pensant à autre chose, freine tardivement et finit sa course en catastrophe en gare Montparnasse, tandis qu'aux cieux, l'Alpha et l'Omega vont opérer leur jonction, qu'en Mer des Sarcasmes se déclenche un fort orage magnétique, que le détroit de Bering va s'effacer pour rapprocher deux continents, qu'à Cuzco, l'ombilic du monde, s'entrechoquent les plaques tectoniques, que le courant El Niño perd ses eaux au large du Chili, que soufflent des vents violents sur Forties, Cromarty, Elbe et Maddalena, tandis que lune et soleil vont croiser leurs rayons en un accord parfait sur la trilithe de Stonehenge , que le guichet 3, (départ grandes lignes) de la gare de Perpignan , va subir une secousse de force 7 sur l'échelle des salaires et que dans la salle du Conseil municipal de Labouheyre, à l'exact aplomb de la vieille Atlantide qui sort de son sommeil tellurique, tremble la table où se renversent apéritifs et cacahuètes servis en l'honneur du départ à la retraite d'un chef de service, blanchi sous le harnais ( de cheval ) après 40 ans de bons et loyaux services ( il était temps qu'il s'en aille, ses collègues n'en pouvaient plus) , je vais enfin atteindre l'Ovocyte de Maman, ce lieu mythique, ce vase du Graal ou luit le feu atomique, dont les Anciens m'avaient tant parlé lorsque j'étais encore dans les langes limbiques.

Mais par cet après midi de décembre, de solitude et de douce mélancolie, où, le nez appuyé à la vitre embuée de ma cuisine, buée qui me renvoie que je suis encore vivant, contemplant une fine pluie qui tombe désespérément, je rapproche frileusement les pans de mon peignoir (que je garde souvent tard dans la journée quand je ne travaille pas) en pensant à Maman.
C'est alors que tel un vieux rot mal comprimé ou plutôt telle une violente régurgitation blédinée, que remonte de mon inconscient la triste réalité : cette histoire à laquelle j'ai voulu croire, cette image lisse et glacée de vainqueur olympien, cette photo (honteusement photochopée par moi-même) que j'avais plaisir à montrer à mes enfants, ce solitaire coureur de fond (mon contrepet préféré), ce cavalier seul, guilleret et pimpant, sans peur et sans reproche, ce cheval ivre de liberté (le cheval est souvent ivre de liberté, je ne sais pas comment il fait, il broute sans doute de la hierba buena) parcourant la grande prairie, n'était qu’ affabulation. L'indicible réalité était tout autre : Janus biface, Docteur Jetue et Mister Caché ( bien sûr, sinon ce ne serait pas un mystère) pré-androïde schizoïde, têtard alyte (le crapaud accoucheur) halluciné , un mauvais rictus sur mon faciès d'assassin de pleine lune, j'ai du me battre comme un forcené pour arriver le premier, j'ai meurtri, blessé, tué, piétinant le faible et l'orphelin, frappant de taille et d'estoc les plus démunis, feintant de tierce et de quarte, de belote et rebelote, tirant les flagelles par l'arrière (ce qui est rigoureusement interdit), utilisant les subterfuges les plus crapuleux, croche-pattes et chausse-trappes, semant la mort et la désolation , abandonnant lâchement au bord du chemin, sans sépulture, les corps sans vie de mes frères et de mes sœurs .

Car en vérité je vous le dis, c'est le souffle coupé, le cœur au bord des lèvres, mon petit corps endolori, (mater dolorosa ) déchiré par tous ces cons qui voulaient prendre ma place, couvert de glaires, de sanie et de sang que j'ai sonné à la porte de l'Ovule.


L'Alpha et l'Omega