Après guerre, en 1950, les Hlm (habitations à loyer modéré) remplacent les Hbm (habitations bon marché). Les logements font cruellement défaut et les travailleurs pauvres ne peuvent se loger même aux conditions de loyers HLM.
Pierre Groues, l'abbé Pierre qui a fondé la communauté d’Emmaüs en, côtoie la misère quotidiennement. En 1954, lui qui a été député de 1945 à 1951 tente de faire passer par l'intermédiaire de son ami Léo Hamon un amendement : Il s’agit de prélever un milliard, sur les 90 prévus pour la reconstruction, afin d’édifier des cités de première nécessité. Dans la nuit du 3 au 4 janvier, après 72 heures de débat, le projet est rejeté.
L'abbé n'en reste pas là. S'étant rendu compte du potentiel que représentait la radio, ( il a participé au jeu du Quitte au double de Zappy Max en 1953 et a gagné pour sa communauté 250000 francs), il lance un appel sur Radio-Luxembourg :
"Mes amis, au secours...
Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d'un presque nu. Devant l'horreur, les cités d'urgence, ce n'est même plus assez urgent!
Écoutez-moi ! En trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l'un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève; l'autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir-même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s'accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l'on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t'aime ».
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l'hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l'âme commune de la France. Merci! Chacun de nous peut venir en aide aux sans abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain: 5.000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l'hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie ! Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l'asphalte ou sur les quais de Paris."
1954 l’Abbé Pierre pique un petit roupillon bien mérité après son appel |
Cet appel à la radio va connaitre un très fort retentissement et provoquer un immense mouvement d’entraide. Le nez mis dans le caca, les politiques vont finir par se bouger l'arrière-train.
Il sera créé dans l’urgence des Logements Économiques de Première Nécessité financés par la Caisse des Dépôts et Consignations, puis sera organisé en 1955 le concours :
Opération Un logement pour un million
(soit 21 300 € valeur 2018, actuellement , on obtiendrait à peu près pour ce prix une niche aménagée sous un escalier d'immeuble)
A Dax, seront construits deux petits ensembles de ce type, l'un à Berre qui sera dit "A l'abbé Pierre", l'autre au Gond, qui s'appellera tout naturellement "le plan Million". L'idée était donc de construire un logement pour un million d'anciens francs (les légers, le franc lourd ou nouveau franc viendra en 1960 ). Pour le prix, il y avait électricité, eau froide à volonté et un trou au plafond pour faire passer le tuyau du mirus chargé de chauffer toutes les pièces.
J'y ai passé quatorze ans au plan Million et c'était notre adresse au début : Famille D., Plan Million 40 Dax, Ensuite, il a fallu gommer Plan Million (ça la foutait mal certainement de toujours rappeler le prix que ça avait coûté et puis il fallait bien commencer à effacer les années de misère), c'est devenu quartier Biarritz (bien plus chic), pour en arriver à avoir un nom de rue. Il nous échut la rue des Cigales pas loin de la rue des Abeilles (je nous aurais plutôt vu en fourmis).
Qui habitait là ? Pas comme à Paris, des sans-abris ou d'anciens habitants de bidonvilles mais deux grandes familles, d'un coté, des économiquement faibles (une charmante locution apparue en 1954) issus pour la plupart de l'exode rural : enfants ou petits enfants de paysans, fermiers, journaliers, ouvriers agricoles, métayers descendus des collines de Chalosse ou des pinèdes du nord de l'Adour, sans qualifications mais largement pourvus en progéniture (on jouait dans cette catégorie) et de l'autre, le volet social : des filles-mères (une appellation légèrement infamante de l'époque) et leurs rejetons.
Le plan Million et sa majestueuse allée de prunus (Et ta sœur? Elle fait du vélo!) |
Le plan Million ne nous a pas survécu. Avant démolition, on sentait chez lui comme un désir de retourner à ses origines modestes : il avait fini par ressembler à un bidonville, mais il avait accompli sa vaillante mission.
━ Et alors il dit quoi, l'athée anti-clérical ?
━ Eh bé, il dit : Merci l'abbé !
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