Gaston, le patriarche a tout avoué !!!
Dans la nuit du 4 au 5 août 1952, sur la commune de Lurs dans les Alpes de Haute-Provence, un couple d' Anglais et leur fille sont assassinés près de leur voiture, à proximité de La Grand’Terre, la ferme de la famille Dominici.
Le 15 novembre 1953, à 11 heures 15
Devant M. Roger Périès, Juge d'Instruction, assisté de M. Barras, Greffier assermenté.
Gaston Dominici a déclaré, après avoir prêté serment :
Je me nomme Dominici Gaston, âgé de 77 ans, profession cultivateur, demeurant à Lurs (La Grand'Terre).
Gaston Dominici et ses chèvres © Izis Bidermanas |
C'est un grand malheur qui m'est arrivé. Les choses se sont passées comme je l'ai indiqué à la Police.
Je ne me souviens pas, cependant, exactement de l'heure à laquelle j'ai quitté la ferme en pleine nuit. J'avais bavardé avec la dame et la fillette peu avant la tombée de la nuit au quartier de Saint-Pons où je gardais mes chèvres. La dame parlait très mal le français, mais sa fille, elle, le parlait bien. Nous nous sommes entretenus de la beauté du paysage. A ce moment- là, le mari se trouvait un peu à l'écart en train de lire.
Un peu plus tard, lorsque je suis entré à la ferme, j'ai constaté que ces trois personnes avaient établi leur campement sur le terre-plein situé à l'extrémité de ma propriété.
Donc, en partant de la ferme un certain temps après l'arrêt du side-car devant la Grand'Terre, j'ai pris la carabine qui se trouvait dans le garage entre deux planches superposées formant étagère, au fond et à droite. Le chargeur était placé sur l'arme. Je savais qu'il était entièrement garni, mais j'ai pris en plus deux ou trois cartouches qui se trouvaient à proximité, sur les planches. Si je me suis muni de cette arme, c'est que j'avais l'espoir d'apercevoir quelque blaireau ou quelque lapin.
Lorsque je suis sorti, en effet, de chez moi, j'avais l'intention d'aller me rendre compte de l'état de l'éboulement et ensuite d'aller faire un tour de chasse.
Je me suis dirigé, en passant le long de ma luzerne, vers le mûrier à proximité duquel était établi le camp des Anglais.
J'ai constaté que l'homme était couché sur un lit de camp placé contre la voiture et paraissait dormir, tandis que sa femme à ce moment-là était en train d'enlever sa robe. Quant à l’enfant, elle ne se voyait pas (sic). J'ai su par la suite qu'elle était couchée à l'intérieur de la voiture. De derrière le muret, j'ai regardé se déshabiller cette femme. Soudain, j'ai été pris de l'envie de la "baiser". Je me suis approché d'elle. J'avais déposé l'arme peu avant d'arriver à la hauteur de l'avant de la voiture. La dame n'a pas paru effrayée en m'apercevant. Aussitôt, je lui ai envoyé la main à la "fraise" (sic). Elle n'a pas réagi. Je n'ai pas hésité. J'ai sorti ma queue. La femme s'est étendue sur le sol et j'ai commencé à la "baiser". Nous avons dû faire du bruit car le mari s'est réveillé peu après. Il s'est dressé, l'air en colère. Moi je me suis relevé et aussitôt j'ai ramassé la carabine. L'homme est venu sur moi. Il a essayé de m'enlever l'arme. Nous nous sommes débattus un instant. Nous nous trouvions à ce moment-là à l'arrière de la voiture. L'homme tenait l'arme par le canon. Je ne sais comment à un moment un coup est parti sans que j'ai volontairement appuyé sur la gâchette. J'insiste sur ce point : ce premier coup a été accidentel. La balle a traversé la main de mon adversaire qui a cependant essayé de m'attraper à la gorge. Comme je me rendais compte qu'il allait prendre le dessus (je sentais, en effet qu'il était plus fort que moi) j'ai tiré un second coup à bout portant. Il a fui en passant derrière la voiture. Je l'ai poursuivi et alors qu'il traversait la route, j'ai tiré une troisième fois. Lorsqu'il est arrivé de 'autre côté de la chaussée il est tombé pour "tout de bon" (sic).
La femme s'est mise à crier. Me retournant vers elle, j'ai tiré dans sa direction. Je ne me souviens pas si, sur elle, j'ai tiré une fois ou deux fois.
A ce moment, la petite est sortie de la voiture par la porte arrière. Elle a un peu crié mais guère. Elle est partie en courant dans la direction du pont de chemin de fer, en coupant droit entre le mûrier et les buissons. Je l'ai poursuivie. J'ai tiré une première fois. Le coup a raté. Une seconde fois, j'ai manqué mon but. Puis je me suis aperçu que je n'avais plus de balle dans le chargeur. Je n'ai pu d'ailleurs m'expliquer cette circonstance car je croyais le chargeur plein. Certainement, j'avais dû perdre des cartouches en route (sic). J'ai dû perdre aussi les deux ou trois cartouches que j'avais mises dans ma poche au moment où j'avais pris ma carabine dans le garage.
J'ai vu que la petite traversait le pont et dévalait le talus. Je me demande comment je l'ai rattrapée. Quand je suis arrivé sur elle, elle se trouvait à genoux. Elle m'a regardé, mais elle ne m'a rien dit. Elle n'a pas crié. J'ai saisi l'arme par le canon et lui en ai envoyé un coup sur la tête. J'étais saoul, je ne savais plus ce que je faisais. J'étais fou.
J'affirme qu'au premier coup la carabine s'est cassée. L'enfant s'est affaissée de suite sans même gémir. J'ai fait quelques pas vers la Durance et j'ai lancé dans le courant les restes de ma carabine. Je suis ensuite allé me laver les mains qui étaient ensanglantées.
Je précise que pour lancer la carabine, j'avais choisi un endroit surélevé, à une vingtaine de mètres de l’endroit où j'avais frappé la petite et en direction de la ferme.
Ensuite je suis revenu sur mes pas. J'ai constaté que la petite était morte puisqu'elle ne remuait plus et c'est alors que je suis allé me laver les mains. Je suis remonté ensuite au lieu du campement pour m'assurer que les parents étaient bien morts. J'ai recouvert le corps de la femme avec une couverture qui se trouvait à terre, à côté de la voiture. Puis, j'ai pris un lit de camp et j'en ai recouvert le corps de l'homme.
Je n'ai fouillé ni dans la voiture ni dans les affaires qui se trouvaient éparses tout autour. J'ai regagné ensuite mon domicile en empruntant à nouveau le chemin qui conduit au pont. J'ai traversé cet ouvrage puis j'ai pris à droite sans regarder vers l'endroit où gisait la petite. J'ai longé et traversé la voie ferrée et ai regagné ma ferme en passant par le sentier qui aboutit dans la cour.
Je me suis couché, il devait être deux heures trente. A quatre heures, je suis reparti avec mon troupeau de chèvres. Je n'ai vu Gustave ni quand je me suis recouché, ni quand je suis reparti. Mais ne m'étant pas rendormi, j'ai entendu qu'à trois reprises Gustave était sorti.
J'affirme que je n'ai jamais parlé de rien à personne. Pas plus Gustave que Clovis ne sont au courant de ce que j'ai fait.
Lecture faite persiste et signe avec nous et notre greffier.
Suivent les signatures.
La Grand'Terre investie par les forces de Gendarmerie |
Oui mais Gaston s'est rétracté ensuite.
"Nous avons affaire à un procès de mots", résume Jean Giono dans Notes sur l'affaire Dominici, "En effet, l'accusé parle un langage primitif, sans syntaxe ; on transcrit ses déclarations et on l'interroge dans un autre langage, le français officiel". Gaston Dominici n'utilisera que trente-cinq à quarante mots lors de son procès s'espante encore Giono.
Roland Barthes dans Mythologies y va de sa vision :
"Le président d’assises, qui lit le Figaro, n’éprouve visiblement aucun scrupule à dialoguer avec le vieux chevrier « illettré ». N’ont-ils pas en commun une même langue et la plus claire qui soit, le français? Merveilleuse assurance de l’éducation classique, où les bergers conversent sans gêne avec les juges! Mais ici encore, derrière la morale prestigieuse (et grotesque) des versions latines et des dissertations françaises, c’est la tête d’un homme qui est en jeu."
Giono, le bon jacobin qui a toujours été soucieux de ne pas passer pour un écrivain régional comme Barthes le gascon monté à la capitale faire son intellectuel évacuent tous deux le fait que la première langue de Gaston Dominici n'était pas le français mais l'occitan provençal.
[Je donne 0 à Barthes qui a passé son enfance à Bayonne et - 5 à Giono, né à Manosque à quelques kilomètres de Lurs]
Gaston Dominici à son procès |
En fait, Gaston Dominici a avoué pour la première fois ses meurtres le 14 novembre 1953, (la veille des aveux en bon français administratif ci-dessus) au gardien de la paix Guérino qui était là pour le garder et non pour l'interroger. Et qu'avait de particulier ce gardien de la paix Guérino ? - il parlait l'occitan provençal et cette communauté de langue a favorisé les épanchements de Gaston.
Le bon Roland B. conclut ainsi son article de Mythologies :
Dominici ou le triomphe de la littérature :
Voler son langage à un homme au nom même du langage, tous les meurtres légaux commencent par là.
[Il a bien raison, ma foi]