Perturbé par la crise qui s'annonce sévère, je décide à l'automne 2008 d'un effort citoyen et me fixe l'objectif imparable de parvenir à l'autarcie alimentaire pour la fin août 2009 avec mes 80 mètres carrés de jardin (que j'ai négligé les années précédentes, sauf au début du printemps où tout est joli et où il n'y a pas besoin d'arroser).
Je lance une étude de faisabilité en enquêtant auprès de mes voisins et en regardant à travers les clôtures du quartier. Je constate que j'ai du pain sur la planche.
N'écoutant que la loi de Murphy, je constitue un groupe de travail où je me fais des propositions très intéressantes; je suis flatté de voir que plusieurs d'entre elles sont retenues.
Financièrement, j'affecte une réserve comptable, tirée de mon livret de développement durable, destinée à l'achat de terreau, graines et plants et à prévenir massives attaques de limaces, escargots et autres amis du légume.
En ce qui concerne la logistique, je mets à ma disposition un lot d'outils anciens mais à rénover, en nue location.
Je définis ensuite les moyens en ressources humaines. Je m'informe que je n'aurai pas le statut de salarié, l'entreprise ne pouvant dégager de bénéfices dans l'immédiat. Je m'engage à hauteur d' 1 heure mininum / homme / jour sur la base du bénévolat. Je n'aurai ni défraiement, ni indemnités, ni jetons de présence mais pourrai me servir en eau au robinet.
Le nez dans le guidon, j'estime alors que la réussite est au bout du râteau mais au mois de mai 2009, un ami à qui j'avais présenté en son temps mon projet, auditeur dans une société d'expert-comptables, venu prendre l'apéro, me fait remarquer que plusieurs indicateurs sont au rouge. Les plates-bandes ne sont pas uniformément arrosées, certaines ne sont pas encore retournées, les pieds de tomates n'ont pas reçu leurs tuteurs, la bêche et le râteau, abandonnés ça et là, présentent des tâches de rouille. Rouge tomate de colère, je lui indique qu'il se mêle de ses affaires et que s'il vient prendre l'apéro pour me dire des conneries pareilles, il pourra à l'avenir rester chez lui.
Toutefois, je recouvre mes esprits après son départ, me dis qu'il n'a pas tout à fait tort et en profite pour refixer plusieurs points d'étape et recaler mes objectifs.
Au début de juillet, je m'envoie le bilan comptable, sans appel, portant sur le premier semestre. Les fonds propres sont à sec. La production a été très en-dessous des prévisions. Je procède à une analyse. Je calcule que si j'avais compté sur mes récoltes pour survivre, j'aurais mangé au cours des six premiers mois de l'année trois fois des haricots verts, deux ou trois omelettes à la ciboulette (œufs non fournis, je n'ai pas de poules), dégusté environ trois kilos de pommes de terre (elles ont eu la maladie), avalé une garbure allégée avec chou et petits pois, dévoré quelques salades et leurs échalotes émincées et bu pour oublier quelques litres de tisane de thym.
La noire de Crimée (sous réserve)
[Je dis noire de Crimée, mais soit je ne lui ai pas laissé le temps de noircir, soit je me suis mélangé les pinceaux entres graines et plants.]
Et donc, je m'imaginais, en ce début d'été, taille de guêpe dans mon pyjama devenu aussi spacieux que la robe de Démis Roússos, me levant de mon lit de misère et gagnant péniblement la fenêtre de ma chambre avec vue sur le jardin , tel Madame BHL attendant le retour de l'Aimé à la Blanche Chemise, guettant éperdument que rougisse la première tomate. Et ce, pour ensuite, choper une vieille dysenterie car on le sait, les tomates ne demandent qu'à mûrir en même temps.
Je me réunis prochainement en Comité de Pilotage en session extraordinaire mais pense rendre mon tablier de jardinier. Il vaut bien mieux acheter tranquille ses légumes au marché le samedi matin et finir par une douzaine d'huîtres et un petit coup de blanc sous les Halles.
Cœur de bœuf, collection tomates 2007, ici.