Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, si j'ai cédé à vos insistances et accepté de prendre ici la parole, c'est bien décidé à ne pas me perdre en conjonctures, et à parler le plus net possible. Je vous prie de pardonner au nouveau venu un peu frustre que je suis, et que certains journaux satyriques dépeignent sous les traits d'un maniaque omnibulé par le souci de l'Etat au point de céder à de vaines craintes et de risquer à tout moment l'infractus. Mais mon devoir est de le répéter sans faiblesse : le danger est là, chers Congressistes. Ceux qui parmi vous l'estimeraient circoncis commetraient une erreur lourde de conséquences. Pourquoi ne pas le dire ? Nos adversaires sont à l'affût, protégés par leurs sinécures bien rénumérées, tapis à promiscuité des centres de décision, dans les bastions de leurs belles demeures praticiennes ou de leurs appartements somptuaires, prêts à perpétuer chaque jour de nouveaux méfaits. Si nous les laissons agir, nous n'avons plus qu'une perspective : le retour à la nature la plus sauvage, une vie d'arborigènes errant de branche en branche au-dessus d'une jungle infectée de bêtes féroces.
La tâche est dure pour un homme clairvoyant, qui ne peut se résigner à l'acception pure et simple de la décadence. Avec l'autorisation du Ministre de la Dégaine, qui n'était pas encore mon collégue, j'ai tenté d'attirer l'attention des forces armées. Je n'ai rencontré qu'incompréhension. Les plus courtois m'ont opposé des réponses dilatatoires. Certains se sont exclaffés. D'autres m'ont fait part en termes énergiques de leurs vives réticences. La plupart se sont contentés de murmurer contre mon intolérable immiction dans leur domaine réservé.
Aussi est-ce devant vous que je pousse ce cri d'alarme, dont je sais qu'il sera entendu. Car ce n'est pas le pessimisme que je veux vous communiquer, mais l'espoir, l'immense espoir de voir notre civilisation recouvrir sous peu son éclat. Je compte sur vous pour soutenir le gouvernement lorsque, sur mon initiative, il exigera des apprentis sorciers la cession immédiate de leurs manoeuvres. Dès à présent, votre bienveillance et votre sympathie me sont de précieux adjudants.
Vive l'intelligence ! Vive la France !
Extrait Les racines latines - Jean Bouffartigues, Anne-Marie Delrieu, Editions Belin 1996
[Petite Lulu, à corriger, fastoch pour toi]
trop fastoche !
RépondreSupprimer