07 février 2025

En pataouète

Du divorce de Cagayous :

… Encore je paie le remplacement, et à quate heures juste, oilà je rentre à le bureau du commissaire.
― Encore c'est vous ? y me dit, lui, comme si ça serait moi que je fais caprice pour lui et que je peux pas passer un jour sans que je viens li sortir le chapeau.
― Si ça serait un aute que vous appelez, sûr que je viens pas tout seul, va ! Dimi journée, je perds. De quoi y a, Mecieu le Commissaire ? Toujours mes papiers y sont propes.
― Assiez-vous, y dit le Commissaire qui s'écrivait dessur un papier.  Madame Solano, elle a donné la plainte dessur  vous. Toute à l'heure elle vient pour parler en devant vous.
― Sûr que c'est un coup monté pour que je fais figa à rapport à le divorce, que nous faisons marcher l'avocat, pour ça.
― Déjà vous faisez le divorce vec vote femme ? y demande le commissaire en se levant la tête pour m'arrégarder.
―  Je comprends !
― A cause ? Vous se l'avez choppée vec le fragrant dilit ?
― Pas besoin qui aye le fagrant dilit; vec la vieille y en a assez pour qu'on fait casse-ficelle vec pluss de vingt femmes.
― Vous avez fait la dispute, vec Madame Solano ?
― Tsss ! Chaque dimi-heure y sort une baroufa! Ça qu'elle veut la vieille, moi je veux pas, et ça que je veux, moi,  elle, elle veut savoir rien. Moi je l'aime pas que ma belle-mère elle commande à ma maison.
   Le commissaire que peut-être il a sa belle-mère qu'aussi elle y fait des cheveux, y s'a fermé un œil et il a ri une miquette entre lui-même.
― Ça va bien. Oilà Madame Solano qu'elle s'amène. Faut pas que vous s'emballez vec elle ! Laissez moi que je parle, moi.
   Madame Solano elle s'a annoncée vec le costume neuf, tout vert, qu'y a un tas des bricoles anrangées en devant et le chapeau tout petit qui semble une sucoupe vec la salade dedans, comme y font les restaurants arabes. Mé cago ! que fantasie qu'elle fait la vieille à présent qu'elle s'a usé plus de soixante cinq calendriers !
   Quand elle a rentré, elle a fait semblant qu'elle me voit pas, esprès, et elle s'a assis dessur une chaise en devant de moi.

Cagayous "le plus grand voyou d'Alger"

 Eh ben, y dit comme ça le commissaire, vous avez serché à la maison si y manque plus rien?
 Ben ségur que m'a embarouillé les ôtres choses, Mouchou al commissare, qué cé dos draps dé lite dé fil sannsé la cotoure al mélior, abec one bague dé or que sé porte lé diamante que mé la cromprée vinte-cinqué douros.
 Atso ! y fait le Commissaire.
 Çé lo qué dis, cé la bérité, Mouchou al Commissare. Dé plouss, lé bolors qué m'a enliébé   lé couillères dé la sope et dé caffé qué sonent dé plata.
 Et de quoi vous faisez, vous, du temps que les cambriouleurs y vous barbotent tout ça ? y demande le Commissaire.
 Yo pionçave yo rébé que ma fille Thérésetta elle se faite la casamente abec one homme que se tienne dé la fortoune et dé la honnor.
 Et comment que ça se fait que vous avez connu que les cambriouleurs c'est des hommes habillés en arabes, vec le bernous, et que, un, c'est vote beau fils Cagayous qu'il est ici.
 Yo no mé trompé pas, quouande cet endébidou y mé biene en côté, perquoi y sé porte one odor qué mé gratouille al cerbo et qué mé monte la rabia tôt dé souite. Al tirose dé las cartes y mé a donné la probatione que cé loui, abec one poutéro qué se faite camarade. Yo bous joure qué cé loui !
 De quoi vous répondez dessur ça qu'elle dit Madame Solano, ho ! Cagayous ? y me fait le commissaire.
 Moi?
  Oui. Allez, parlez.
   La vieille alors elle fait semblant qu'elle m'a vu, et elle commence de s'arréculer en errière, en faisant la malafatche, comme si je serais un chien enragé.
   Moi, je fais comme ça, je sais pas combien des choses riches qu'on s'a volées à cette femme honnête; ça me régare pas. Ça qui faut qu'elle porte, c'est la preuve, pas pluss...

Alger - Bab-El-Oued - Stéphane Couturier

Pataouète : le langage parlé de Bab-el-Oued, parler populaire spécifique des Français d'Algérie dont le fond emprunte à plusieurs langues méditerranéennes.
Musette : pseudonyme d'Auguste Robinet, 1862-1930 Alger, dont tout n'est pas à lire,  père littéraire de Cagayous.
Cagayous : nom certainement d'origine occitane signifiant soit Chieur, soit Morveux, soit Chassieux (l'embarras du choix).

Pataouète, sabir, lingua franca, pidgin, créole, des langues en mélange.

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