18 mars 2020

Le pin nain

    L'automne s'attarde, la neige et l'hiver devraient déjà être là. Des nuages bas, bleu sombre, comme plein d'ecchymoses défilent depuis de longues journées au bord de l'horizon tout blanc. Et  aujourd’hui, au matin, le vent pénétrant de l'automne est devenu d'un calme menaçant. Est-ce un présage de neige ? non, il ne neigera pas. Le pin nain ne s'est pas encore couché. Et les journées s'écoulent, il n'y a pas de neige, les nuages vagabondent quelque part derriere la montagne, un petit soleil pâle s'est levé et c'est toujours l'automne...      
    Mais le pin nain se recourbe. De plus en plus bas, comme un fardeau infini, sans cesse grandissant. Il égratigne la pierre de son faîte et se presse contre terre en écartant ses pattes d'émeraude. Il s’aplatit. Il ressemble à une pieuvre avec des plumes vertes. Et, couché, il attend un jour ou deux; le ciel blanc déverse enfin une neige poudreuse et le pin nain s'enfonce dans son hibernation comme un ours. La montagne blanche se couvre de grosses ampoules neigeuses : ce sont les arbustes de pin nain couchés pour l'hiver.

Stlanik (Pinus pumila)

    Et à la fin de l'hiver, quand la neige recouvre encore la terre sur une épaisseur de trois mètres, quand les tempêtes ont tassé dans les gorges une neige dure qui ne peut être entamée qu'au fer, les hommes attendent en vain les signes avant-coureurs du printemps, bien que c'en soit l'époque selon le calendrier. Mais la journée ne se distingue en rien d'un jour d'hiver : l'air est coupant et sec et ne diffère en rien de celui de janvier.
    ...
    Mais voilà que dans la blancheur neigeuse infinie, dans l'entière désespérance, se dresse soudain le pin nain. Il secoue la neige de sa ramure, se redresse de toute sa hauteur et lève vers le ciel ses aiguilles vertes, givrées, à peine roussies. Il entend l'appel du printemps qui ne nous est pas perceptible et, lui faisant confiance, il se redresse, le premier de tous dans le Nord. L'hiver est terminé.

Extrait de Récits de Kolyma, Quai de l'enfer de
Varlam Chalamov 1907 Vologda 1982 Moscou

[Le Goulag comme si vous y étiez, idéal pour période confinée]

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